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AMA GLORIA

Cléo a tout juste six ans. Elle aime follement Gloria, sa nounou qui l’élève depuis sa naissance. Mais Gloria doit retourner d’urgence au Cap-Vert, auprès de ses enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir une promesse: la revoir au plus vite. Gloria l’invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier été ensemble.

Critique du film

Quel beau choix du comité de sélection que d’avoir jeté son dévolu sur Ama Gloria, de Marie Amachoukeli, pour faire l’ouverture de la Semaine de la Critique. Oeuvre éminemment personnelle et à forte résonance autobiographique, dédiée à Laurinda, la femme qui s’est occupée d’elle enfant jusqu’à son retour au pays, elle est aussi l’occasion pour la dernière du trio de lauréats de la Caméra d’Or pour Party Girl, co-réalisé avec Claire Burger (C’est ça l’amour) et Samuel Theïs (Petite Nature), de se lancer enfin en solo et d’ouvrir en beauté cette 62e édition de la Semaine. De ce qu’elle qualifie comme la première grande déflagration de sa vie, la cinéaste tire une oeuvre poignante et sensible sur la nécessité de grandir et, parfois, de se séparer.

Ama Gloria nous fait découvrir la petite Cléo, six ans, dont s’occupe quotidiennement et à temps plein sa nourrice, la dévouée Gloria. Cette femme d’origine cap-verdienne l’accompagne chez l’ophtalmo, la récupère à la sortie de l’école, lui donne le bain, la réconforte lorsqu’elle chute. Assurément, elle représente pour l’enfant un parent de substitution – tandis que son père semble très pris par ses obligations professionnelles. On le comprendra dans un joli flashback en animation, la mère de Cléo s’est éteinte d’un cancer alors que sa fille était encore un nourrisson. On devine combien Gloria, séparée des siens restés au pays, s’est attachée à cette fillette orpheline d’une maman, et chaque geste bienveillant, regard tendre et moment de complicité dévoile combien leur attachement mutuel est fort.

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Je n’ai que des souvenirs avec toi

Mais un jour, un appel change tout. Suite au décès de sa mère, elle aussi des suites d’un cancer, Gloria doit rentrer au pays pour enterrer sa mère et s’occuper de ses enfants. Ce qu’elle explique avec délicatesse et sincérité à l’enfant, qui le comprend et lui témoigne sa compassion, dans un moment déjà poignant de simplicité et de douceur. Sauf que, cette fois, elle ne reviendra pas. Le départ de cette figure maternelle aimante, pilier de la vie de Cléo, est un déchirement. Mais sa nourrice le lui promet : elles se reverront.

Promesse tenue puisque Cléo s’envole quelques mois plus tard pour le Cap Vert, où l’attend impatiemment Gloria. Celle qui était là pour ses premiers pas l’accueille ainsi dans sa vie, au sein de sa petite maison, et lui présente ses deux enfants – ceux-là même qu’elle avait dû confier à ses proches pour venir en France et gagner suffisamment d’argent pour financer un projet hôtelier qui leur permettrait d’envisager l’avenir avec plus de confort. Avec curiosité, Cléo découvre les coutumes locales, les croyances et les traditions. Elle s’intègre plutôt bien, même si l’on devine une part de jalousie chez le fils cadet de Gloria, qui n’a au final que très peu connu cette mère en exil désormais revenue, et voit d’un mauvais oeil l’affection que porte sa mère à la fillette.

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Mal de mères

L’une des grandes forces d’Ama Gloria est cette formidable façon dont est retranscrit le lien qui unit ces deux filles sans mère. Cette bonté et cet amour réciproque irradient l’écran et nous enserrent le coeur. Parce que les liens du coeur sont parfois plus forts que les liens du sang, leurs retrouvailles en disent long sur l’attachement et la perspective, difficile à occulter, qu’il faudra bien finir par se séparer et construire, l’une sans l’autre, leur nouvelle vie. Du haut de ses six ans, elle sent bien que sa place ne sera bientôt plus aux côtés de Gloria, qui lui offre pourtant une place de choix le temps de son séjour et la présente « comme sa fille ». Marie Amachoukeli filme ces lieux avec un attachement sincère, sans ce regard « carte postale » des occidentaux attirés par l’exotisme, et nous immerge par le prisme de Cléo dans la vie sur l’archipel volcanique.

Dans une société où le rôle de la mère reste sacralisé, Ama Gloria illustre merveilleusement combien d’autres adultes peuvent ressentir un amour inconditionnel sans être parent. S’il n’est jamais formulé, il déborde de la pellicule pour venir percuter nos coeurs. En creux de cette magnifique histoire d’attachement de circonstances, le long métrage de Marie Amachoukeli met également en lumière les sacrifices de ces femmes, souvent invisibilisées, contraintes à l’exil pour offrir un quotidien et un avenir meilleurs à leurs enfants, en s’occupant souvent de ceux des autres. Ilça Moreno Zego est sublime dans le rôle de cette femme, avec laquelle elle partage plusieurs éléments autobiographiques, ce qu’elle répercute à l’écran avec une justesse et une émotion déchirantes. Parce qu’il va falloir se quitter et être heureuses, leurs larmes d’adieu nous laissent le coeur au bord des yeux, mais avec la conviction intime de chérir la chance d’avoir partagé leur tranche de vie.

Bande-annonce

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Cannes 2023Semaine de la Critique




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