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ALICE N’EST PLUS ICI

Alice, âgée de huit ans, rêve de devenir une star. 27 ans plus tard, elle est mariée et mère d’un insupportable gamin. À la mort de son mari, elle part chercher du travail comme chanteuse et se retrouve serveuse de snack. La chance de sa vie apparaît enfin sous les traits de David, un propriétaire de ranch divorcé.

Critique du film

Parmi les films les plus méconnus de la filmographie de Martin Scorsese, Alice n’est plus ici est tout à la fois un splendide portrait de femme, un road-movie et une comédie de mœurs. Ellen Burstyn, absolument formidable, drôle et désemparée, incarne Alice Hyatt, cette femme au foyer qui voit reverdir ses rêves de jeunesse en même temps qu’elle enterre son mari. 

En guise de scène d’exposition, Scorsese concocte un prologue. Tonalités écarlates, décors de studio, musique sirupeuse, tout concours à pasticher l’esthétique sucrée des comédies musicales des années 40. Nous faisons la connaissance d’Alice enfant, et quelques plans suffisent à présenter sa vocation de chanteuse et donner un aperçu de son caractère trempé. On imagine que le décalage affiché a pu inspirer les frères Coen pour le génial autant que mystérieux court-métrage qui lance A serious man.

Alice au pays des motels

Couture et cuisine, c’est par ces deux activités emblématiques de la femme au foyer que le film campe Alice dans son quotidien du Nouveau-Mexique. Le colérique et pisse-froid Donald, chauffeur Coca-Cola, trouve accidentellement la mort. La déchirure ne tarde pas à prendre les couleurs de la délivrance pour Alice, qui, flanquée de son fils Tom, prend la route, des rêves plein la tête. C’est un ostensible zoom arrière qui résume le programme : Alice au piano est filmée de dehors, le cadre s’élargit d’abord lentement et déborde la fenêtre puis plus rapidement, intègre Tom dans le champ qui observe sa mère derrière la haie. 

Mère et fils, deux fortes personnalités, forment un duo explosif dont Scorsese capte avec brio la vitalité. Sa caméra en mouvement perpétuel capte l’énergie qu’ils déploient, à s’engueuler puis se rabibocher. Elle est particulièrement habile à restituer l’exiguïté et la connivence dans les espaces réduits : habitacle de la voiture, chambres de motels.   

Le récit d’émancipation ne cesse d’opposer cette promiscuité avec les grands espace traversés. À la conquête de ses propres rêves, Alice doit composer avec un fils adoré mais récalcitrant et tenir la barre au jour le jour. 

Alice n'est plus ici
À Phoenix, Alice réussit à trouver une place de chanteuse dans un bar et ne tarde pas à rencontrer Ben (Harvey Keitel, impressionnant agneau transformé en loup), homme dont l’affabilité de façade ne cache pas longtemps une personnalité sombre et violente. 

En quatrième vitesse, on boucle les valises et reprend la route. 

Amer vent de liberté

Nécessité faisant loi, Alice troque la robe de chanteuse pour le tablier de serveuse. Tucson ne trouve pas davantage grâce aux yeux de Tom qui s’ennuie avant de prendre des cours de guitare et de rencontrer Audrey, ado plutôt délurée (Jodie Foster avant Taxi Driver). Le film prend alors des allures de chronique provinciale. La vie du drugstore donne lieu à de savoureuses scènes de comédies au milieu desquelles s’invite une romance en la personne de David (Kris Kristofferson regard doux et barbe rassurante).

Alors que l’étape se prolonge, le portrait de femme s’affine à mesure qu’elle se livre auprès de Flo (une serveuse d’abord honnie avec qui elle finit par sympathiser) ou de David. Donald revient dans les conversations: «c’était l’idée que je me faisais d’un homme fort et dominateur». La douceur qu’elle lit dans le regard de David la désarçonne et la séduit en même temps. Femme désormais libre, elle questionne cette attirance au regard d’une conquête qui ne saurait accepter de compromis. Scorsese filme cette tension, véritable enjeu de société où le modèle patriarcal est remis en cause, comme une trajectoire inéluctable et joyeuse. Sa mise en scène, nerveuse, confère une énergie communicative et protectrice à son personnage dont la force est de savoir, quoi qu’il arrive, la route inépuisable. Les carcans sautent aussi allègrement que les pistons du moteur. 

Femme forte aux cicatrices mal refermées, tornade d’optimisme aux larmes mal séchées, Alice bouleverse autant qu’elle amuse. 

Il fut un temps où Scorsese filmait les femmes autant que les hommes, de Boxcar Bertha à Casino. Son Alice rejoint la formidable galerie des femmes en quête d’émancipation du cinéma américain des 70’s, petite sœur de Béatrice (De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites, Paul Newman 1972) avec qui elle partage le veuvage et les rêves d’enfant, cousine de Wanda (Wanda, Barbara Loden, 1970) avec qui elle partage la route et les rencontres incertaines et contemporaine de Mabel (Une femme sous influence, John Cassavetes, 1974) que le foyer étouffe.

Comme Joanne Woodward, Barbara Loden et Gena Rowlands, Ellen Burstyn livre une prestation inoubliable et poignante.


 Disponible sur Filmotv, La cinetek, CanalVOD, UniversCiné, MyTF1


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