Northlight

AFTER BLUE (PARADIS SALE)

Dans un futur lointain, sur une planète sauvage, Roxy, une adolescente solitaire, délivre une criminelle ensevelie sous les sables. A peine libérée, cette dernière sème la mort. Tenues pour responsables, Roxy et sa mère Zora sont bannies de leur communauté et condamnées à traquer la meurtrière. Elles arpentent alors les territoires surnaturels de leur paradis sale…

Critique du film

Bouclez vos ceintures : direction la planète Mandico ! Cinq ans après Les garçons sauvages, son premier long métrage fantasmagorique, le réalisateur français revient sur grand écran, à la suite d’une incursion côté clip (le très réussi Niemand pour KOMPROMAT en 2019) et moyen-métrage (l’étrange Ultra pulpe en collaboration avec Yann Gonzalez en 2018). Mandico n’est pas pressé : il a pris le temps de soigner son come-back au cinéma et on le comprend. Ambitieux, gargantuesque et mélodramatique, son deuxième long-métrage valait la peine d’attendre que son créateur le peaufine.

Radicale plongée dans une science-fiction de série B onirique, After Blue se présente comme le prolongement logique du rêve éveillé entamé avec les Garçons sauvages et révèle (si on ne l’avait pas encore compris) l’incroyable potentiel créatif de Bertrand Mandico. On y retrouve les thèmes chers au réalisateur (la destinée, le voyage iniatique), mais le film est surtout prétexte à un joyeux mélange de genres et de sensations. After Blue se déroule dans un futur post-apocalyptique sans hommes, sur une planète sauvage et hostile que les femmes ont colonisée tant bien que mal ; avec ses décors très DIY, ses créatures extra-terrestres façon papier mâché et ses pistolets en tous genres, il n’est pas sans rappeler les monuments de la culture SF des années 80.

After blue
Tandis que les accessoires du film, comme le rasoir laser, font un clin d’oeil à Star Wars, le ton pince sans rire et les effets spéciaux plein de fumée évoquent les vieux épisodes de Star Trek et les dimanches après-midi pluvieux devant la télé. Pourtant, point de vaisseaux spatiaux ni de portails magiques dans After Blue : une fois le décor planté, les personnages y restent, et arpentent à cheval des landes dévastées qui, contre toute attente, tiennent davantage du western que de la guerre interstellaire. C’est bien un règlement de compte au pistolet que nous propose Bertrand Mandico, qui revisite ici avec goût les meilleures traditions et costumes du film spaghetti. Exit les hommes et les déserts poussiéreux ! Place aux femmes armées et à la neige sale.

Là où les Garçons sauvages se concentrait sur le masculin, After Blue est une lettre d’amour au féminin sous toutes ses formes : poilu, péryoxydé, lesbien, jeune, vieux… Pas de hiérarchie entre la jeune première et sa mère, qui tiennent ici toutes deux la vedette à égalité, tandis qu’en arrière-plan, d’autres femmes éblouissantes planent sur le film, nues, libres et féroces. Réunies en communauté non-mixtes et drapées dans de longs manteaux noirs, elles forment les covens d’une nouvelle ère. Armées de fusils aux noms de grands couturiers (Gucci, Paul Smith), leurs patronymes rendent hommage aux sorcières de la pop-culture : l’héroïne, Roxy, est peut être surnommée Toxique en hommage à Britney Spears et la méchante ambivalente et vengeresse de l’histoire se prénomme tout simplement Kate Bush.

Les hommes, réduits au rang d’androïdes designés pour le plaisir de leurs maîtresses, sont là pour servir les désirs des femmes, dont le plaisir n’a pas d’âge ; elles veulent, prennent et se servent avec appétit et sans honte, dans des ballets sensuels sublimés par l’esthétique multicolore de Mandico. Leur voyage est aussi celui de la découverte de soi et de l’éveil sexuel, qui commence lorsque Roxy se retrouve face au troisième oeil sur le pubis de Kate Bush, cette dernière lui promettant d’assouvir ses désirs les plus enfouis. Sexes tentaculaires, masturbation, fantasmes ; avec un humour non dénué de beauté, Bertrand Mandico filme ici les pulsions humaines, et After Blue, planète libidineuse gluante et visqueuse aux plantes phalliques, est son terrain de jeu. “Science-fiction, science-frissons, science-nichon ?” s’interrogeaient déja les personnages d’Ultra Pulpe. “On a pas trouvé mieux pour définir le genre”.

After blue
Avec After Blue, Bertrand Mandico poursuit son exploration du 7ème art ; il continue d’écrire son manifeste pour une pratique totalisante, qui tient tout autant de la performance que du cinéma et remet en question les limites du montrable et du dicible. Aux côtés de cinéastes comme Yann Gonzalez ou Alexis Langlois, il rappelle la vitalité et l’inventivité du cinéma queer français, dans tout ce qu’il a d’exubérant, de pop et de décomplexé. Son deuxième long-métrage fait souffler un vent de fraîcheur bienvenu dans le paysage audiovisuel hexagonal. Il prouve ainsi que la question du genre (cinématographique, social) n’est pas réservée au cinéma américain et qu’elle peut être traitée en Europe avec finesse, beauté et pertinence.

Bande-annonce

16 février 2022 – De Bertrand Mandico, avec Elina Löwensohn, Paula Luna et Vimala Pons.




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