a perfect enemy

A PERFECT ENEMY

Un célèbre architecte est interpellé par une mystérieuse jeune femme dans un aéroport parisien. Elle est si envahissante qu’elle lui fait rater son vol. Il va réaliser, au fil des heures, que leur rencontre n’est pas due au hasard…

Critique du film

Avec 29 romans au compteur et une régularité de publication qui compte autant d’années, Amélie Nothomb s’est imposée au fil du temps comme une écrivaine incontournable de la littérature francophone contemporaine. Très versatile dans les sujets et les styles d’écriture qu’elle aborde, la romancière belge n’a étrangement été que très peu adaptée pour le cinéma, refusant quasi systématiquement les sollicitations de réalisateurs en ce sens. Et mise à part une transposition fidèle et ingénieuse de Stupeur et Tremblements signée Alain Corneau en 2003, il faut reconnaitre que les autres adaptations filmiques de l’autrice se sont avérées de qualité très variable, allant de la fantaisie légère un peu superficielle (Tokyo Fiancée) à la blague de mauvais goût la plus totale (Hygiène de l’assassin).

A Perfect Enemy constitue un cas particulier puisqu’il s’agit de la première adaptation en langue anglaise d’une œuvre de Nothomb. Adaptation d’autant plus intrigante qu’elle est portée sur grand écran par Kike Maíllo, réalisateur espagnol un peu perdu de vue depuis un premier essai pourtant prometteur en 2012 : Eva, conte de science-fiction aux accents « Spielbergiens ». Près de dix ans plus tard, le catalan revient, doté d’un matériau de base solide et d’un casting éclectique pour mettre en scène la confrontation entre un célèbre architecte et une mystérieuse inconnue dans un aéroport.

Coup de théâtre

A perfect enemy
De l’œuvre originelle, Maíllo conserve la structure sous forme de ping-pong verbal entre deux personnages diamétralement opposés et enfermés dans un espace clos, en l’occurrence la salle d’embarquement d’un aéroport. Un choix qui pose immédiatement une question de taille : comment apporter du cinéma à un dispositif aussi théâtral sur le papier ? Le cinéaste répond plutôt habilement en embrassant justement toute la dimension scénographique du roman qu’il adapte.

Ainsi, après une rapide exposition pour présenter son personnage principal, l’élégant architecte Jeremiasz Angust se met à errer dans le terminal où il attend son vol et arrête son regard sur une maquette du lieu, qu’on comprend être son œuvre. Un traveling avant sur la réplique miniature, à l’endroit exacte où se trouve Angust dans la réalité, révèle une tâche rouge sang ; venant de ce fait altérer la perfection de la maquette. Si le procédé n’est pas des plus subtils, le film délivre malgré tout à travers ce plan toute sa note d’intention : tout ce qui va suivre ne sera que représentation et tout semble déjà écrit d’avance. Ne reste plus au réalisateur qu’à mettre en place tranquillement ses pions pour mieux refermer le piège sur son personnage principal.

Piège qui prend la forme d’une jeune femme volubile dont le patronyme sonne à l’oreille comme une diabolique allitération : Texel Textor. D’abord fantasque et un brin envahissante, l’importune hollandaise se montre de plus en plus menaçante à mesure qu’elle déploie auprès de son auditeur tout un arsenal d’histoires vécues (en tout cas livrées comme tel) glauques et dont Angust (et le spectateur) peine à comprendre la finalité. S’en suit une conversation à couteaux tirés et qui semble n’avoir pour unique objectif que de faire voler en éclat l’apparente perfection d’un homme un peu trop propre sur lui.

On sent à chaque instant du récit, l’envie du réalisateur de rendre justice aux brillants échanges acerbes et retors issus de la plume de Nothomb. Les dialogues, pourtant ‘’très écrits’’ du roman, sont souvent repris à l’identique dans le film, la mise en scène ne cherchant jamais à renier la théâtralité ludique du face-à-face, bien au contraire. Le réalisateur a compris que pour conserver la saveur du texte source, il ne pouvait se diriger que vers une forme de grandiloquence dans les dialogues et la direction des comédiens. À ce jeu, Athena Strates se révèle délicieusement cabotine en sociopathe perverse. Il en résulte un étrange inconfort qui confère au film une identité propre et plutôt surprenante.

L’aventure intérieure

A perfect enemy
Afin d’aérer sa mise en scène, Maíllo prend également le parti de quitter régulièrement le cadre de l’aéroport pour mettre en image les anecdotes racontées par ses personnages. Un choix compréhensible qui permet au réalisateur d’opérer une mise en abyme labyrinthique pour interroger la psyché de ses personnages et tenter de mettre en lumière leurs démons intérieurs.

Cependant, cette exploration des sombres recoins de l’âme humaine s’avère bien trop didactique pour convaincre pleinement. D’abord, parce qu’elle vampirise toute la tension anxiogène construite autour de la confrontation verbale entre Textor et Angust. Le hors-champ angoissant du début laisse rapidement place à un enchaînement de saynètes illustratives, malgré des partis pris esthétiques intéressants, notamment dans la photographie utilisée pour rendre Paris inquiétante, voire franchement malsaine. De même, en disséminant de nombreux indices dans le cadre, le découpage et les raccords, le cinéaste s’inscrit de manière un peu trop évidente dans une droite lignée de thrillers psychologiques à tiroirs, prenant le risque de lever bien trop vite le voile sur le mystère du film et son twist final.

Au final, c’est lorsqu’il prend à bras le corps le matériau littéraire initial pour mieux laisser les fauves se dévorer entre eux que le film se montre le plus percutant. Dès lors qu’il tente de jouer la carte du puzzle mental, le récit perd en pugnacité, la faute à des effets un peu trop démonstratifs et référencés qui finissent par alourdir son propos. Pour autant, rien qui ne doive gâcher le plaisir de ce thriller singulier, bourré de bonnes idées, qui tente constamment de prendre le spectateur à rebrousse-poil. Pari à demi réussi ! Comme quoi, la perfection n’existe vraiment pas.

Bande-annonce

29 décembre 2021 – De Kike Maillo, avec Thomasz Kot, Athena Strates et Marta Nieto




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