A la folie

À LA FOLIE

Pour fêter l’anniversaire de sa mère, Emmanuelle vient passer quelques jours dans la maison de son enfance. Elle y retrouve temps passé et souvenirs qui règnent dans les lieux, mais aussi sa sœur aînée dont l’instabilité psychologique a trop souvent affecté les relations familiales. Personne ne se doute que cette fête de famille va rapidement prendre une tournure inattendue…

Critique du film

De l’extérieur, Manu et Nat ressemblent à n’importe quel couple de sœurs adultes : leur relation, marquée par la complicité, la tendresse, mais aussi la jalousie et la cruauté, connaît les hauts et les bas propres à la fratrie. Néanmoins, dès la première seconde du film, le spectateur.trice perçoit la dissonance entre elles, comme une fausse note qui va en s’aggravant. Nat n’est pas n’importe quelle adulte, puisqu’elle souffre de maladie mentale, et Manu n’est pas juste sa soeur blasée, mais bien le témoin épuisé des hauts et des bas de sa famille.

La santé mentale a « le vent en poupe » dans le cinéma français ; après le succès des Intranquilles en 2021, puis d’En attendant Bojangles en 2022, c’est dans l’oeuvre d’Audrey Estrougo qu’on retrouve cette fois-ci les problématiques très en vogue des troubles psychiatriques et de la façon dont ils affectent la vie du patient.e. Tantôt fantasque et joyeuse, façon Virginie Efira nue dans la rue, tantôt sourde et subtile, façon Damien Bonnard en peintre torturé, l’ombre de la folie plane sur la famille nucléaire, thème phare du septième art hexagonal. Délaissant provisoirement les banlieues parisiennes, la réalisatrice de Suprêmes s’attaque à son tour à ce vaste sujet et vient se nicher dans le jardin d’une grande maison de campagne faussement ensoleillée afin de se poser la question suivante : comment prendre soin d’une personne malade tout en se préservant ?
A la folie
Un peu à la façon des Intranquilles, qui mettait en scène une mère de famille à bout face à la bipolarité de son mari, A la folie s’attache à explorer la fatigue des proches de Nat, atteinte quant à elle de schizophrénie. Comme dans le film de Joachim Lafosse, le doute subsiste un moment avant que le diagnostic ne tombe, non pas à la dernière minute mais à la moitié de l’histoire, venant enfermer définitivement le personnage dans sa maladie. Cependant, là où Lafosse se concentrait sur le déni de son héros concernant son état, Audrey Estrougo s’intéresse davantage à l’effet inverse – que se passe-t-il quand on n’arrive plus à voir l’autre qu’à travers son trouble psychiatrique ? C’est avec ces questions que se débat Manu, la sœur saine d’esprit, solidement campée par Virginie Van Robby, aussi brune et robuste que Nat, trentenaire amère et sur le fil, est blonde.

Chez Estrougo, point de grandes démonstrations fantasques d’insanité : la maladie mentale se confond avec le caractère turbulent de Nat, et se cache dans ses éclats un peu trop disproportionnés, ses sautes d’humeur brutales et ses obsessions compulsives. Le spectateur.trice se retrouve, aux côtés de Manu, à guetter la folie dans les brèches de Nat, bouclant la boucle du cercle vicieux qui la rend prisonnière de son état. “Tu serais pas un peu parano ?” lui lance son petit ami (un Théo Christine fumeur de joints à la présence un peu touristique dans ce tableau familial), surpris par l’anxiété de sa conjointe. Perpétuellement tendue, Manu, toujours sur le qui-vive, s’attend à tout moment à voir sa sœur éclater ; pourtant, c’est souvent sa propre raideur ou son agressivité qui déclenchent les hostilités et les débordements de Nat. “Je n’arrive plus à la voir autrement” confie-t-elle en larmes à son ami d’enfance.

A la folie
À la folie est ainsi continuellement traversé par la tension sourde qui habite Manu, à l’image des lignes électriques qui vrombissent ponctuellement à l’écran. Les cadres serrés enferment les personnages dans leur environnement anxiogène et leurs idées, les empêchant de communiquer et de se comprendre. Abordant à la fois la question de la filiation et de l’hérédité, Audrey Estrougo élargit son propos et questionne aussi la parentalité face à la maladie, à la fois dans les relations des sœurs avec leur mère et dans celles de Manu avec son conjoint. De façon émouvante et sans donner de réponse toute faite, elle laisse les personnages se heurter à leurs propres contradictions et se perdre dans des règlements de comptes familiaux, sans favoriser une attitude plutôt qu’une autre.

Manu, personnification du syndrome du sauveur, est-elle trop rigide avec Nat ou est-elle la seule personne à comprendre l’urgence de la situation ? La situation de Nat est-elle vraiment alarmante ? Leurs rancoeurs intestines permettent d’attraper la question de la folie à l’envers, et d’interroger celle de l’entourage du malade et la violence qui peut en découler. De cette épuisante confrontation familiale, on ressort épuisé.e et à fleur de peau, à l’image des héroïnes. Sans jamais romantiser la maladie mentale ni la diaboliser, Audrey Estrougo signe avec À la folie un portrait aussi délicat que féroce de l’amour sororal pris dans le tourbillon de la psychose.

Bande-annonce

6 avril 2022 – De Audrey Estrougo, avec Virginie Van Robby, Lucie Debay et Anne Coesens.




%d blogueurs aiment cette page :