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2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE

 Durant l’aube de l’humanité, un groupe de singes découvre un monolithe parfait dans son campement. Les primates le touchent et deviennent intelligents. Quatre ans de travail pour cette suite de ballets de vaisseaux spatiaux sur fond de ciel noir et de Beau Danube bleu. 

De vie et d’os

La perfection est-elle l’ennemie de l’émotion ? Il s’agit au cinéma d’une interrogation qui revient quelquefois sur des films considérés comme tellement bons techniquement qu’ils peineraient à toucher le coeur. C’est le cas pour la majorité des films de Stanley Kubrick. Une question qui peut se poser en connaissant le personnage maniaque qu’était le Britannique, toujours prompt à travailler la forme de ses films jusqu’aux moindres détails. C’est le cas de Barry Lyndon et de sa lumière naturelle magnifique qui peut écraser l’histoire racontée. C’est le cas de Shining et de son dédale labyrinthique qui relèguent aux oubliettes le livre de Stephen King. Et c’est bien entendu le cas de 2001 : l’Odyssée de l’Espace, qui fête ses cinquante ans cette année et qui s’invite à Cannes en ce mois de mai anniversaire lui aussi.

Adulé aujourd’hui, il est pourtant passé au travers des récompenses aux Etats-Unis à l’époque (un seul Oscar pour les effets spéciaux, le seul de la carrière de Kubrick) et la critique en était ressorti divisé à l’époque en 1968. Et si depuis le film a gravi les échelons des différents classements de tous les sites et magazines parlant de cinéma, il reste encore sujet à débat sur cette fameuse remarque : il serait parfait mais trop froid. Trop distant de son sujet, trop abstrait, trop carré en somme. Cette assertion est intéressante pour plusieurs raisons. D’abord, elle démontre, et il est important de le répéter encore et encore, que l’appréciation d’un film n’est pas basé sur des critères objectifs et rationnels ; chaque spectateur aborde une oeuvre selon sa grille de perception propre à un instant T qui est en perpétuelle évolution. Ensuite, nul film n’a à être apprécié extatiquement par tous et toutes. Enfin, elle dit une chose importante sur notre relation par rapport à un auteur – et en l’occurrence par rapport à Kubrick et son contrôle total sur la fabrication de ses oeuvres.

2001, l’Odyssée de l’Espace est en effet une ode à la construction d’une oeuvre cinématographique. Chaque plan, chaque maquette, chaque déplacement dans le champ de la caméra, chaque utilisation des musiques, est réfléchi pour être le plus efficace possible. Aucun autre film, pas même dans la carrière de Stanley Kubrick, n’aura placé la barre aussi haute. Le résultat est donc plastiquement formidable : avant-gardiste à son époque, il a non seulement influencé toute la production filmique occidentale de science-fiction des décennies futures, mais aussi le cinéma dans son ensemble. Ce jusqu’au boutisme de Kubrick à vouloir polir au maximum ses films est certes vertigineux, mais il écarte de facto celles et ceux qui n’y sont pas forcément pas sensibles car le reste apparaît au premier abord cryptique, voire abscons. Sensation pouvant être renforcée par la longueur du métrage (142 minutes) et le minimalisme du jeu des acteurs et de la narration verbale. Or, l’empathie envers les personnages est essentielle pour pouvoir se sentir impliqué dans une histoire. Dans n’importe quel film ce serait le cas et cela pourrait reléguer 2001 : l’Odyssée de l’Espace au rang de magnifique “coquille vide” – si tant est que cette expression veuille réellement dire quelque chose.

2001 : L'odyssée de l'espace
Pourtant, pour qui y plonge corps et âme, 2001 : l’Odyssée de l’Espace hante chaque jour. Son oeil rouge provoque des frissons ; Ainsi parlait Zarathoustra amène la vision d’un monolithe immobile et pourtant diablement vivant. Jamais un lâcher d’os dans le ciel n’aura été si beau et puissant. Jamais l’Humanité n’aura eu un film qui parlait aussi bien d’elle. D’une espèce basique qui évolue grâce à l’usage des armes et qui se rétracte quand le savoir se dévoile devant elle. Car l’humain reste, malgré ses beaux vaisseaux, ce singe qui tape une carcasse avec un os. Ceci est notre position face à l’Univers.

Rien d’étonnant à ce que Kubrick relègue l’être humain au rang de créature encore primitive. Sa détestation de la guerre et de la violence est déjà au centre de Path of Glory sorti en 1957 et sera une constante dans sa filmographie. Il ajoute à cela l’idée du contact extraterrestre, qui met du coup l’Humanité face à une civilisation dont il peut voir les restes mais qu’il ne comprend pas à différents niveaux – physiquement, intellectuellement et même philosophiquement. Il en va de même avec l’intelligence artificielle HAL, créée par l’Humain, mais qui devient rapidement une entité consciente supérieure aux scientifiques embarqués vers Jupiter. Cette difficulté à se représenter les Autres est filmée de manière lovecraftienne par Kubrick  : l’inconnu est une entité abstraite vertigineuse et donc cauchemardesque, trop difficile à comprendre pour l’être humain. Bowman lors de son voyage interdimensionnel regarde les multivers comme un enfant voit les monstres tapis dans le noir de sa chambre.

2001 : l’Odyssée de l’Espace est un film vertigineux. Il a surtout l’énorme avantage d’être ouvert à l’interprétation de chacun, comme le souhaitait Kubrick, et ce, malgré les écrits de Clarke. Pour peu que l’on dépasse le perfectionnisme étouffant du cinéaste britannique, un voyage grandiose attend qui plongera dedans. Son anniversaire et son passage à Cannes permettront peut-être de le faire découvrir à un nouveau public et, qui sait, de le faire apprécier à des novices ou des non-convaincus d’autrefois. Et c’est très bien comme cela.


Le film sortira en salle en version restaurée et sera mis à l’honneur aujourd’hui au festival de Cannes, présenté par le réalisateur Christopher Nolan.



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