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CARTE BLANCHE | Le Dahlia noir

Carte blanche est notre rendez-vous bi-mensuel pour tous les cinéphiles du web. Deux fois par mois, Le Bleu du Miroir accueille un invité qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette dix-neuvième occurence, nous avons choisi de tendre la plume à Pierre Siclier, rédacteur en chef adjoint du site Le Blog du Cinéma, Celui-ci choisit de nous remettre à l’honneur un film mal aimé dans la filmographie de Brian De Palma, Le Dahlia Noir.  

Carte blanche à… Pierre S.

Il y a des films marquants dans la vie d’un cinéphile. Quand il s’agit d’en choisir un, autant se pencher sur celui qui a changé la donne. Celui après quoi on se met vraiment à s’intéresser au cinéma, à faire des liens entre les films et les réalisateurs. Pour ma part, ce fut Le Dahlia noir de Brian de Palma. Pas un classique à la 2001 de Kubrick ou Citizen Kane de Welles, ni même mon film préféré. Mais un film vu simplement au bon moment.

Nous sommes en 2006, je suis adolescent, et sans vraiment en avoir conscience de Palma est déjà bien ancré en moi – Blow Out, Mission Impossible, Snake Eyes, Furie, Carrie, je les ai vu dans le désordre et ne les associe pas encore au réalisateur. Le déclic viendra d’abord de la bande-annonce du Dahlia noir. Très réfléchie et emmenée par le titre Dirge du groupe britannique Death in Vegas, il s’en dégage quelque chose d’envoûtant car la musique répond parfaitement aux images. J’entame alors la lecture du roman de James Ellroy, à l’origine du film de Brian de Palma. L’histoire est celle des inspecteurs Bleichert et Blanchard, chargés d’enquêter sur le meurtre d’Elizabeth Short, surnommée le « Dahlia Noir ». L’affaire de l’assassinat du Dahlia noir, un fait divers des années 1940 qui resta non élucidée, inspira Ellroy pour son roman. Lequel vit dans son écriture un moyen d’exorciser le meurtre de sa propre mère, survenu 11 ans après celui du Dahlia Noir. Entre la réalité et la fiction, il y a vite fait de s’y perdre. Mais c’est peut-être pour cela que les deux médiums (l’œuvre littéraire et l’œuvre cinématographique) parviennent si bien à se fusionner. Car avec Le Dahlia noir, il ne s’agit pas d’une adaptation classique du roman d’Ellroy – comme cela peut-être davantage le cas de L.A. Confidential (1997) de Curtis Hanson. Mais bien d’une réappropriation de la part de Brian de Palma pour y inclure sa personnalité et ses obsessions.

Tout en gardant un ensemble très similaire au roman, Brian de Palma a fait un certain nombre de choix pour son film. On y retrouve certes les mêmes personnages et la même trame scénaristique, mais le réalisateur a su prendre suffisamment de liberté – notamment sur la fin – pour en faire avant tout son film. Son choix le plus judicieux est d’avoir ajouté au film des essais effectués par Elizabeth Short, venue à Hollywood pour devenir actrice. Trois courtes séquences dans lesquelles l’actrice Mia Kirshner (son interprète, superbe dans ce rôle) s’adresse à un metteur en scène en hors champ et dont on n’entend que la voix (celle de Brian de Palma). Une mise en abyme fabuleuse qui permet de briser la distance entre le spectateur (et les inspecteurs) et ce personnage déjà mort et dont on ne sait que peu de choses. Evitant l’utilisation de flash-back, mais en ayant recours à un matériel évoquant le passé (les bandes démo) tout en restant dans un temps de récit présent, le réalisateur, en plus de susciter une forte empathie, fait rentrer une part de réel, provoquant là une sensation d’étrangeté. Lorsque Betty Short joue, son regard vient transpercer la caméra. On ne sait alors si elle s’adresse au réalisateur DANS le film, à celui DU film, ou simplement au spectateur. « I’ll never be hungry again ! » (je ne connaîtrai jamais plus la faim !) dira-t-elle en citant un passage du film Autant en emporte le vent. Une phrase qu’elle s’approprie évidemment et qui révèle une part de sa vie. Pas très bonne actrice, un peu menteuse, un peu charmeuse, elle est avant tout un personnage tragique empreint d’une grande tristesse, palpable dans chacune de ces courtes scènes.

Si son personnage qui prend aux tripes fait la différence, le reste du Dahlia noir n’est pas en reste. De Palma développe aussi bien la vie de Blanchard et Bleichert, et leur relation, que cette affaire morbide qui implique des personnes haut placées – la riche famille Linscott. Cela grâce à sa réalisation qui adopte un certain classicisme du film noir, tout en y injectant son propre style. À l’image de la découverte du corps de Betty Short, qui fait basculer le film. Au loin, une femme terrifiée par ce qu’elle voit dans un terrain vague. Le réalisateur déplace sa caméra à la grue, montre un plan d’ensemble du quartier et vient se poser au niveau de la voiture des inspecteurs, en planque pour une autre affaire. Tel un magicien, de Palma fait là une élégante diversion pour nous faire oublier l’élément premier en nous plongeant au cœur d’une fusillade. L’air de rien, il annonce déjà la manipulation et les mensonges qui entourent les deux coéquipiers. Il reviendra juste après sur le corps retrouvé. Il semble ainsi vouloir déformer et découper son film à la manière du corps tailladé d’Elizabeth Short. Allant vers plusieurs pistes, changeant de rythme mais nous maintenant sous l’emprise de sa caméra. Cette virtuosité typique du réalisateur (et qui en dérange certains), permet de développer aussi bien le caractère de ses personnages que de montrer l’avancée laborieuse de l’affaire, perturbée par les tromperies et la corruption autour.

Comme souvent dans son cinéma, c’est par ses imperfections que de Palma touche à une certaine perfection et en devient aussi fascinant. Avec Le Dahlia noir, il reste fidèle à des idéaux parfois oubliés – la question de la morale et de la vraie justice, les conséquences des actes -, se montre critique à l’égard d’Hollywood et des studios – comme Betty Short ils auront eu sa peau -, y va de ses références et hommages – à son cinéma ou à des habitués, comme Hitchcock – et se tourne parfois lui-même en dérision. Le tout, en restant toujours cohérent, produisant ici un vrai Brian de Palma, aussi passionnant que ses précédentes œuvres. Mais forcément, lorsqu’on se trouve dans l’attente d’une œuvre classique dans sa forme, sans fausse note, où rien ne dépasse, il devient difficile de se laisser porter par la virtuosité du réalisateur. A sa sortie, Le Dahlia noir a été bien mal accueilli par la presse (et tout autant par le public). Mais peut-être, comme la majorité de ses films, obtiendra-t-il après coup la reconnaissance qu’il mérite – ce fut le cas avec Scarface, mal reçu à sa sortie en 1983. Car cela reste une œuvre à part, qui aura au moins amené le jeune adolescent que j’étais à regarder au-delà des films, à chercher à comprendre le langage des images et à partir à la découverte des obsessions du réalisateur de Sisters, Phantom of the Paradise, Obsession, Pulsion, Scarface, Body Double, Les Incorruptibles, Outrages, L’Esprit de Cain, ou de L’Impasse. Et même si, depuis, dix ans se sont écoulés, et que Brian de Palma a semblé perdre de sa superbe (seulement les décevants Redacted en 2007 et Passion en 2012 à se mettre sous la dent), il n’en restera pas moins un cinéaste majeur. Un auteur d’une vraie personnalité dont chaque film s’avère d’une grande richesse. En attendant de le retrouver à son niveau (on l’espère un jour), il y aura toujours Le Dahlia noir à voir et revoir, et le fantôme d’Elizabeth Short pour nous hanter.

Pierre S. 

La fiche

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LE DAHLIA NOIR
Réalisé par Brian De Palma
Avec Josh Hartnett, Scarlett Johansson, Hilary Swank…
Etats-Unis – Policier, Thriller, Drame
Sortie : 8 Novembre 2006
Durée : 120 min




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