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ANDREA ARNOLD | Entretien

Malgré trois Prix du Jury cannois, la cinéaste britannique Andrea Arnold n’a toujours pas obtenu la récompense suprême sur la Croisette. Son American Honey avait, pourtant, tout d’une Palme d’Or. Pour nous, elle revient sur les prémices de ce film fulgurant et difficile à classer. Rencontre détendue avec la plus brillante réalisatrice en activité… avec une invitée spéciale de dernière minute : sa comédienne principale, Sasha Lane. 

Comment vous est venue cette idée de réaliser un film sur des vendeurs itinérants de revues ?  

Andrea Arnold : Il y a très longtemps, j’avais lu un article qui parlait de ces gens-là. J’étais aux Pays de Galles, je me suis immédiatement dit que ce serait intéressant. Cette idée me revenait sans cesse. Pour autant, je ne l’ai pas concrétisée tout de suite. Cela aurait pu se faire après Fish tank mais je me suis embarquée rapidement sur Wuthering Heights (Les hauts de hurlevent) car j’étais obsédée par ce bouquin. J’aurais probablement fait American Honey plus tôt sans ça. Quand une idée ne me quitte pas, cela me rend encore plus déterminée. 

Je déteste les répétitions donc il n’y en a quasiment pas eu. Je n’aime pas quand un acteur se prépare beaucoup.

Avez-vous pu mettre à profit ce temps de gestation pour faire des recherches, façonner vos personnages ?

A. A. : Les Hauts de Hurlevent m’a ramenée à une période sombre de ma vie. J’avais besoin de temps pour souffler. J’en ai profité pour découvrir davantage les Etats-Unis que je ne connaissais pas assez bien. J’ai fait des road-trips, des recherches, rencontré des équipes de vendeurs itinérants. Il n’y avait aucune urgence, je prenais mon temps pour apprécier les expériences et faire des rencontres. Le processus a été très long, je pense qu’il m’était nécessaire. Je me suis sentie de plus en plus « connectée » avec l’Amérique durant cette période. 

… Pour vous permettre de mieux capturer l’essence de cette jeunesse américaine, son sens de l’idéalisme et sa recherches de « connexion », justement, dans ces contrées parfois reculées ?

A. A. : Oui, la connexion est le mot juste. Découvrir le moteur de ces jeunes gens qui partent sur les routes et lâchent leur quotidien sédentaire. 

Il y a une véritable énergie de groupe, une alchimie collective dans le « crew ». Avez-vous répété avant de tourner ?   

A. A. : Je déteste les répétitions donc il n’y en a quasiment pas eu. Je n’aime pas quand un acteur se prépare beaucoup. Ce qui n’est pas un problème avec les acteurs qui débutent – ce qui est majoritairement le cas dans ce film – mais pour ceux qui sont plus expérimentés cela peut créer un inconfort. Mais c’est ainsi que je travaille. Lorsque l’on se prépare trop, on perd en fraîcheur, en spontanéité. À trop se projeter, à trop réfléchir sur son personnage, on n’est plus dans l’instant. L’acteur pense au lieu d’être.

Je ne répète donc quasiment pas et j’essaie de trouver des personnalités qui ressemblent à ce que j’attends pour incarner mes personnages, leur donner le ton et l’esprit que j’espère. Parfois même, le comédien propose spontanément quelque chose de complètement différent de ce que je m’étais imaginé et c’est même encore mieux comme ça. Pour moi, la magie n’opère que comme ça durant le tournage. 

De façon systématique, vous faites donc confiance à l’instinct et vos tournages sont de véritables aventures… Ici, ce fut même un tournage en « road-trip », à la sauvage.

A. A. : Nous vivions dans ces vans durant le tournage. Tous ces arrêts sur les parkings, dans les stations essence, c’était aussi notre vie réelle. Sasha (Lane, l’actrice principale – ndlr) me disait qu’elle avait vécu le tournage comme des vacances d’été, une expérience digne d’une colonie de vacances complètement folle.

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Sasha Lane, actrice principale du film

Sasha Lane, présente dans la pièce, se mêle à la conversation et s’assoit à notre table : C’est exactement ça ! Oui, je me disais continuellement « Ce n’est pas comme ça que l’on fait un film. Ce n’est pas comme ça que l’on fait un film. » Chaque jour était une surprise, comme dans la vie. « Que vivra-t-on aujourd’hui ? OK, cool. C’est parti. »

Vous aimez travailler de cette façon avec vos comédiens, partager leur quotidien, vivre avec eux et créer une intimité…  

A. A. : Nous n’aurions pas pu tourner le film autrement. Nous n’avions pas le choix. Tout le monde était présent sur place, toute l’équipe voyageait en même temps. Nous ne pouvions pas gérer les emplois du temps de chacun. Nous sommes partis sur les routes, tous ensemble. J’intégrais même de nouveaux personnages en faisant des castings sauvages. Ils se greffaient au film alors qu’ils n’avaient jamais expérimenté ou planifié quoique ce soit autour du cinéma… Je voulais que ce soit une expérience unique pour tout le monde, moi comprise. Et que ce soit agréable pour tout le monde, que tout le monde soit soudé comme une véritable famille. Et au final, c’est ce qu’ils sont devenus. Comme dans une vraie famille, nous avions certains jours des « petits dramas » qui se résolvaient par la suite, de l’entraide et des liens forts qui se créaient et resteraient indéfectibles. Je pense qu’ils resteront tous en contact. Nous mangions, dormions et roulions ensemble. C’était un énorme cortège, un peu comme dans Mad Max : Fury road ! (Elle rit) 

> > > Lire aussi : La critique du film American Honey

On retrouve plusieurs éléments chez Star que comportait déjà celui de Mia dans Fish Tank : leur jeunesse, leur fougue, leur fort caractère et leur volonté féroce d’échapper à leur destinée, des combattantes à la recherche d’une altérité… À quel point ces deux personnages vous ressemblent-ils ?   

A. A. : Je crois que l’on peut dire que tu es, comme moi, une sacrée tête dure Sasha ? (Elle rit)

S. L. : Oui, sur ce point, il n’y a pas de doute. Il y a eu une véritable compréhension là-dessus car je suis une fonceuse en général. Je ne réfléchis pas et j’ai envie d’avancer. Il est nécessaire de créer de l’empathie mais également de ne pas se laisser marcher sur les pieds.

A. A. : Mon crédo c’est « ne cause aucun tort, mais ne te laisse pas emm*rder. » (« Do no harm but take no crap » en V.O). On revient à cet état d’esprit Mad Max. (En riant) On va peut-être changer le titre du film finalement… Mad Mary, ça sonne bien selon vous ?  

Et puis ce film a une certaine parenté avec le votre, liée à la présence de Riley Keough aux côtés de Charlize Theron…

A. A. : Exactement ! On la voit peu mais elle est géniale avec sa chevelure enflammée. 

J’ai longtemps dit que réaliser, c’était pour les mauviettes. L’écriture est la partie la plus difficile…

La musique tient une part importante, si ce n’est majeure, dans l’identité du groupe. Elle retranscrit l’espoir, le feu qui brûle en eux. Dans American Honey, chaque morceau devient un élément narratif aussi important que les dialogues… Comment avez-vous construit la bande-originale ?

A. A. : Ce fut comme pour l’ensemble du film. Ce fut un travail de groupe. Chacun y a mis son grain de sel. J’avais quelques morceaux au départ puis au fur et à mesure les acteurs me proposaient des choses différentes. Tout le monde s’est impliqué. Même lorsque je ne demandais pas de suggestions, certains venaient me voir pour me faire écouter un morceau. Par exemple, Sasha a choisi le morceau de la dernière scène et je l’ai gardé dans le film. Il collait parfaitement. Ce fut une compilation réalisée en complète collaboration. 

Avez-vous une « idée en tête qui ne vous quitte pas » et que vous souhaitez convertir en un prochain film ?   

A. A. : Oui mais je déteste en parler tant que c’est juste dans ma tête. Je suis en train d’écrire. Je suis à un moment délicat où je ne sais pas encore complètement ce que cela va devenir. J’adore la période de l’écriture même si c’est la plus difficile. Par le passé, je disais même « réaliser, c’est pour les mauviettes. » en comparaison avec l’étape de l’écriture. Parfois, tu vas beaucoup plus loin que ce que tu le pensais. Tu explores plus profondément quelque chose enfoui en toi.  

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Entretien réalisé à Paris le 10 janvier 2017. Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon

 Remerciements : Monica Donati



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Vincent Février
Vincent Février
7 années il y a

Bonjour, superbe article, merci beaucoup : le film est une merveille !
Petite coquille au début de l’article, ligne 3 , je signale une confusion d’homophones (prémisses, mais ici il s’agit bien de prémices).
Merci encore pour la qualité du blog 🙂
Vincent

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