festival2021-220

ANAMARIA VARTOLOMEI & LOUISE ORRY-DIQUÉRO | Interview

Nous avons rencontré Anamaria Vartolomei et Louise Orry-Diquéro au festival De l’écrit à l’écran de Montélimar où était présenté L’événement. Encore dans l’allégresse du Lion d’Or obtenu par le film au Festival de Venise, les deux comédiennes nous ont parlé de leur travail sur le film, de leur complicité avec Audrey Diwan et de la manière dont le sujet les a bousculées. 

Connaissiez-vous le roman d’Annie Ernaux ou avez-vous découvert l’histoire avec le scénario ?

Anamaria Vartolomei : J’ai lu le livre avant de passer des essais, pour me nourrir du récit. Sur le sujet, je savais ce qu‘était l’idée d’un avortement clandestin, mais j’étais loin d’imaginer la violence et la réalité des faits. Je connais globalement l’histoire de l’émancipation féminine, la loi Veil… Je suis consciente et concernée mais le livre a été un choc.

Audrey Diwan vous a t-elle donné un corpus de références, littéraires et cinématographiques, on pense évidemment à Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne, et aussi au film de Cristian Mungiu, 4 mois, 3 semaines, 2 jours ?

AV : Finalement le confinement nous a beaucoup aidées, Audrey et moi, ça nous a donné le temps de créer un lien fort. On a pris l’habitude de s’appeler presque tous les jours, on s’échangeait des références de livres, de films, très différents. Elle a voulu que je voie absolument Le Fils de Saul de Laszlo Nemes, pour le dispositif, le travail sur le son. Black Swan de Darren Aronofsky pour le côté paranoïaque, le rapport à la mère. Je vois un fort parallèle symbolique avec ce film, la faiseuse d’ange arrache Anne à sa mère et la libère. Dans la douleur certes, mais c’est une sorte éclosion tout de même.

Sur le tournage, en référence à Rosetta, on a surnommé Anne « Le petit soldat ». De Rosetta, j’aime la fougue, le côté combatif. Elle ne rend jamais les armes. On s’est dit, comme Rosetta, qu’Anne partait au front, elle a des alliés qu’elle perd en chemin, elle se casse la gueule, se relève et ne lâche pas. Girl de Lukas Dhont également, pour la longueur des scènes qui accentue l’humiliation. Pour sa condition sociale aussi. J’ai pensé à Brokeback Mountain, ça n’a a priori rien à voir, une histoire d’amour homosexuelle dans l’Amérique puritaine mais qu’est-ce que c’est de vivre dans l’illégalité, sans modèle auquel s’accrocher ? Il faut prendre les devants. Aujourd’hui, nous avons de la chance, il y a des actrices qui ont pavé la route. Si jamais on veut entreprendre quelque chose qui nous paraît encore tabou, on a des modèles sur lesquels s’appuyer. Anne, à l’époque, n’avait personne, elle a fait preuve d’un courage et d’une audace incroyables.

Transcrire la peur dans le souffle s’est avéré plus juste qu’un jeu de crispation, de douleur.

Sur la manière de filmer la jeunesse, le film fait aussi penser à l’univers d’André Téchiné

AV : Sur ce point, la référence était plutôt À nos amours de Maurice Pialat avec Sandrine Bonnaire, qui est dans le film.

LOD : On a toujours envie de voir des influences, des références mais pour le travail d’acteur en particulier c’est aussi très important d’être libre de toute reproduction. Mon personnage prend beaucoup en charge le désir, mêlé d’une envie très forte de sexualité et d’une peur immense. Audrey a beaucoup joué, de manière subtile, avec nos personnalités.

Le travail de référence a beaucoup été élaboré entre Audrey et Anamaria. Pour les acteurs autour, une forme de confiance s’est établie. Moi je connaissais assez bien l’oeuvre d’Annie Ernaux.

AV : Moi pas du tout. Avec L’Événement, j’ai découvert chez elle une détermination, une audace et une liberté qui m’ont conquise. J’en ai lu d’autres après le tournage, je voulais garder une partie d’elle avec moi. J’avais essayé de lire Mémoire de fille pendant le tournage, notamment pour les scènes de fêtes. On avait répété ensemble pour trouver une musicalité et une rythmique et jouer sur la complicité qui s’est révélée très naturelle. Cette lecture, en réalité, m‘a plus perturbée qu’autre chose. De la lecture de L’Evenement, il a fallu aussi se détacher.

La scène de l’avortement m’est restée en tête, elle est très bien détaillée. Ce que j’avais imaginé n’a finalement pas marché sur le plateau. Le scène a été difficile a tourner, il a fallu que je déconstruise ce que j’avais bâti et implanté dans mon imaginaire pendant des mois en amont. J’étais complètement paumée et avec Audrey, on a trouvé quelque chose dans le souffle, qui a une grande importance tout au long du film, plus on l’entend, et plus on comprend que son monologue intérieur est fort, et qu’il raisonne de moins en moins avec les autres. Transcrire la peur dans le souffle s’est avéré plus juste qu’un jeu de crispation, de douleur. Je suis contente d’avoir eu Audrey comme alliée.

Vous dites qu’avec elle vous avez découvert le lâcher prise ?

AV : Ah oui ! Souvent, dans les productions françaises, il n’y a pas beaucoup d’argent, pas beaucoup de temps. J’arrive, on répète un peu, je fais mon travail. Généralement en cinq prises, dix maximum, c’est bouclé. Avec Audrey, on a décidé de prendre le temps. On a beaucoup répété, toutes les deux puis avec les autres acteurs. Je me suis sentie libre, elle me permettait d’oser, de proposer des chemins. Je ne me suis jamais sentie limitée.

Avez-vous beaucoup répété avant le tournage ?

LOD : Pas tant que ça, surtout les scènes de danse qu’Audrey a filmé en longueur.

Et vis à vis de l’extrême proximité de la caméra, il y a eu une une phase d’apprivoisement nécessaire ?

AV : On a fait des essais caméra. Audrey avait une idée très précise de ce qu’elle voulait faire, des plans qu’elle voulait composer. Avec le chef opérateur, Laurent Tangy, on a formé un trio. C’était à la fois très technique et chorégraphique. On devait s’adapter les uns aux autres, c’était intense mais on s’est accordé avec naturel et facilité.

Vous avez travailler sur le phrasé, sur le rythme ?

AV : Audrey nous a dit que quand on parlait lentement, on était dans les années 60. On a travaillé sur ça. Moi qui ai tendance à parler très vite et à balancer mes phrases, il fallait que je prenne mon temps. 

LOD : Audrey dit que le film fait vivre une expérience à travers le temps et à travers le genre. Audrey voulait qu’on ne soit pas trop contemporaines mais sans affecter nos identités. 

D’une certaine manière Anne se heurte à l’époque. Votre personnage, Louise, représente l’état d’esprit de l’époque, comment l’avez-vous abordé ?

LOD : C’est un personnage très exubérant mais qui a une frousse terrible de l’acte et qui est respectueuse de la société. Audrey a, il me semble, joué de manière subtile avec des facettes de nos personnalités. J’ai cette exubérance mais il a fallu que je le contraigne.

La reconstitution n’est pas du tout scrupuleuse, c’est davantage une évocation.

AV : Une reconstitution caricaturale ou stéréotypée aurait introduit une distance avec les spectateurs. Si le film touche autant de monde, c’est aussi parce qu’il décrit une société plus qu’une époque.

Vous citiez À nos amours, qu’est-ce que ça fait d’avoir Sandrine Bonnaire pour mère ?

AV : J’avais vu le film adolescente, je m’étais identifiée, Sandrine Bonnaire est extrêmement juste, incroyable et tellement belle. 

LOD : J’étais la petite qu’elle gardait dans Un coeur simple de Marion Laine, c’est une actrice incroyable, généreuse…

AV : Il y a un truc chez elle, une véracité.

LOD : En plus, elle est humble, simple.

Anamaria, vous retrouvez encore une fois Kacey Mottet Klein après Just Kids et L’Échange des princesses.

AV : Il a joué mon mari, mon frère et maintenant un ami/amant. J’aime travaillé avec lui, il est spontané, instinctif, il a un truc assez animal que je retrouve chez Adèle Haenel ou Vincent Cassel. 

L'événement

Dans l’Événement, Annie Ernaux écrit qu’elle avait lu des histoires d’avortement mais que pour autant elle ne savait comment ça se passait en détail. Est-ce qu’on apprend à vivre avec la littérature ?

LOD : Dans ses livres à elle, en tout cas, oui. Elle raconte une expérience avec tellement de justesse, en utilisant une langue compréhensible par tout le monde.

AV : C’est cru, sans fioritures.

LOD : On apprend à reconnaître des émotions dans les livres, et on s’identifie, parfois, à travers elles.

Louise, vous chantez également, vous voudriez mener deux carrières de front, comme Soko ou Camélia Jordana ?

LOD : Oui, je fais aussi pas mal de théâtre, je touche un peu à tout. Par le chant, j’ai l’impression de ne pas exprimer la même chose. Dans l’absolu j’aimerais pouvoir développer des projets différents. 

C’est l’école du conservatoire qui donne cet appétit d’éclectisme ?

LOD : Oui, au Conservatoire, on a du clown, du masque, du chant. Moi, j’ai choisi une option mise en scène, j’ai écrit un mémoire sur le sujet. Je ne m’en rendais pas vraiment compte mais j’ai l’impression qu’on est passé dans un rouleau compresseur et d’un coup on est devant une salle de 900 personnes et on nous entend. On sait parler, on sait se tenir, c’est assez magique.

Comment avez-vous vécu la soirée du Lion d’or ?

AV : Moi j’étais à Venise, à la cérémonie. C’est tellement fort. 

LOD : Moi j’étais en résidence à Valence, et j’ai regardé la cérémonie sur mon téléphone. Je voyais les prix défiler.

AV : On savait qu’on était au palmarès, on avait été rappelées mais on ne savait pas du tout pour quel prix. À un moment, il ne reste plus que Lion d’Argent et Lion d’Or, je vois un cameraman qui s’approche pour guetter ma réaction, je me suis dit on a le Lion d’Argent. Et puis, il s’arrête au niveau de Paolo Sorrentino et on entend son nom appelé. On a applaudi Sorrentino tellement fort (rires) !

LOD : Pour l’anecdote, j’ai regardé où j’étais pour immortaliser le moment, et j’ai vu « Place Simone Veil ».

Annie Ernaux commence le livre par un récit contemporain de l’écriture, dans une salle d’attente après un test VIH. Elle écrit : « ma vie se situe donc entre la méthode Ogino et le préservatif à un franc ». Comment votre génération s’est appropriée toutes ses contraintes autour de l’amour et de la sexualité ?

LOD : C’est pour ça que c’est encore un long chemin pour qu’une femme accepte de prendre du plaisir. C’est nous qui avons l’angoisse de tomber enceinte. Le papillomavirus, ce sont les hommes qui le portent mais ce sont les femmes qui développent les cancers du col de l’utérus. C’est encore un grand combat à mener que d’être libérer de toutes ces poids. 


Propos recueillis et édités par François-Xavier Thuaud pour Le Bleu du Miroir

Remerciements
Amandine, Marécalle, Xavier Beuvier (Crédits photos) et le Festival De l’écrit à l’écran, Philippe (Baz’art)



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