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ALAN BALL | Interview

À l’occasion de la présentation de son deuxième long-métrage, Uncle Frank, lors du festival de Deauville (où il a décroché assez logiquement le Prix du Public), Alan Ball nous a accordé une interview. Pour Le Bleu du Miroir, l’auteur de Six Feet Under (et scénariste oscarisé d’American Beauty) revient sur les événements à l’origine de l’écriture du film, se confie sur l’acceptation sociale de l’homosexualité et le fait de trouver sa place dans une grande ville ou une petite bourgade rurale, évoque ce qui diffère lorsque l’on tourne une série ou un film, et s’exprime sur l’état du marché actuel et sur sa position vis à vis des plateformes de streaming… 


Il aura fallu attendre douze ans après Towelhead, votre premier film. Aviez-vous besoin d’un projet personnel pour ressentir l’envie de réaliser à nouveau ? 

Alan Ball : J’aime travailler. Depuis Towelhead, j’ai fait une série télévisée qui a pris cinq ans de ma vie, True Blood. J’avais l’idée de ce film depuis mes 33 ans, quand je suis rentré en Géorgie pour faire mon coming-out auprès de ma mère. Elle m’a pris par surprise en me confiant qu’elle pensait que mon propre père était probablement gay aussi. Il était déjà décédé à cette époque et je n’avais jamais eu l’occasion d’en parler avec lui.

Le lendemain, alors que ma mère et moi étions sur la route, nous sommes passés à côté d’un lac et, très nonchalamment, elle m’a annoncé : « C’est ici que Stan Lassiter s’est noyé. C’était un très très bon ami de ton père. » J’ai ensuite appris que mon père avait accompagné son corps jusqu’en Caroline du Nord, en train, jusque dans sa région natale pour les funérailles. Cette histoire a en quelque sorte semé les premières graines de ce que serait Uncle Frank.

Après avoir vu Moonlight et Call me by your name, le réalisateur Xavier Dolan disait avoir saisi l’importance d’écrire et de faire des films sur le coming-out ou ce qu’être gay signifie de nos jours…

C’est important que les gens créent un travail qui ait du sens pour eux. Je ne me dis pas « ce sujet est important, il est nécessaire que j’en parle afin de faire bouger les choses. » Si c’est honnête et que cela vient du cœur, on peut le faire. L’histoire d’Uncle Frank a beaucoup d’importance pour moi donc je vais la raconter, en espérant que le gens auront envie de la découvrir ! (il rit)

Il y a encore des parents qui mettront leur enfant dehors après son coming-out. Mais j’aime croire que c’est devenu une minorité des cas…

Si Uncle Frank a une dimension autobiographique, il se déroule lors des années 70. D’après vous, le film serait-il différent s’il se passait de nos jours ? 

Il serait très différent, je pense, avec l’acceptation sociale des homosexuels, des lesbiennes et des transgenres a évolué. On ne se cache plus comme dans les années 70 et Frank ne mettrait pas autant d’années avant d’affirmer sa véritable identité auprès de sa famille. Bien sûr, je suis conscient qu’il reste encore, dans de nombreuses familles, des personnes qui n’ont pas la possibilité d’assumer et d’être qui ils sont. Il y a encore des parents qui mettront leur enfant dehors après son coming-out. Mais j’aime croire que c’est devenu une minorité des cas…

À la fin de Six Feet Under, Claire quitte sa famille pour vivre à New-York pour trouver sa voie. Dans Uncle Frank, Frank ne parvient à être lui-même qu’en vivant loin de sa famille, sa ville natale et ses traumatismes de jeunesse. Pensez-vous qu’il faille partir avant de se trouver soi-même ?

Parfois, c’est nécessaire. Ce fut mon cas. Je ne pense pas que ce soit une règle, mais lorsque l’on vient d’une petite ville, c’est parfois inévitable. J’avais besoin de vivre dans un endroit où je pourrais retrouver plus de personnes ayant la même vision de la vie que moi, les mêmes valeurs.

Lorsque l’on s’épanouit lors de ses origines, dans sa vie adulte, il peut parfois être difficile de trouver sa place lorsque l’on revient ponctuellement rendre visite à sa famille…

Parfaitement ! Parfois, quand je rends visite à ma famille, j’ai le sentiment d’être un étranger venant d’un autre pays tellement nos mondes sont différents. Ce n’est pas une question de juger les personnes, qui elles sont. Pour vous donner un exemple, plusieurs membres de ma famille sont des supporters de Donald Trump. Je ne veux pas les juger, mais je ne m’efforce même pas d’en parler avec eux car c’est comme si nous ne parlions pas la même langue.

Uncle Frank film

Vous avez écrit et réalisé autant pour le cinéma que pour la télévision. En quoi est-ce différent d’écrire un film à vos yeux ? 

Ce sont deux médium différents. Pour moi, le cinéma ressemblerait davantage à des nouvelles tandis que les séries seraient des romans. Dans une série, on peut profiter d’un canevas plus large, de plus de temps, et d’apporter plus de coloration à l’histoire que l’on raconte sans avoir à se focaliser sur les battements essentiels du récit. Cependant, quand on tourne une série, on ne dispose pas d’autant de temps pour tourner que lorsque l’on fait un film. Certes, pour faire Uncle Frank, je n’ai pas eu tant de temps, on n’a eu « que » cinq semaines de tournage pour mettre en image 90 minutes d’un film. Pour la télévision, on tourne un épisode d’une heure en dix jours.

Que ce soit au cinéma ou pour les séries, il y aurait toujours une part de frustration. On n’a pas assez d’argent, pas assez de temps, le studio interfère, les producteurs te disent ce que tu devrais faire… même si, par chance, rien de tout cela n’est arrivé pour Uncle Frank. Il y a de la frustration mais je m’estime privilégié de gagner ma vie en faisant ce que j’adore faire, ce qui fait que cette part de frustration reste assez minime.

Vu l’état du marché actuel, les studios préfèrent mettre 200 millions de dollars sur la table pour porter à l’écran un matériau populaire ou une marque solide, plutôt que 10 millions de dollars sur un film qui parle d’êtres humains.

Devrons-nous attendre à nouveau douze ans pour un nouveau film d’Alan Ball ? 

J’ai tellement de projets sur lesquels je dois patienter… Je continue à me battre pour pouvoir concrétiser l’un ou l’autre. J’attends de trouver les personnes qui le soutiendront. Le genre de films que j’ai tendance à écrire concernent la vie et les gens. Il n’y a pas d’explosions, d’explorations spatiales ou de personnages de comics-books.

Vu l’état du marché actuel, les studios préfèrent mettre 200 millions de dollars sur la table pour porter à l’écran un matériau populaire ou une marque solide, plutôt que 10 millions de dollars sur un film qui parle d’êtres humains. Donc, oui, j’espère que vous n’aurez pas à attendre une décennie pour mon troisième film mais ce n’est pas de mon ressort…

Seriez-vous tenté de collaborer avec Netflix, Apple ou Prime, qui peuvent représenter pour de nombreux auteurs une option non négligeable pour faire un film avec un budget intéressant ?

Lorsque l’on tentait de monter Uncle Frank, nous avions approché Netflix et Amazon mais ils ont décliné. Nous avons donc fait le film de façon indépendante, mais Amazon Prime a finalement acheté les droits.

Je vais devoir être honnête. Je parviens à voir davantage de films depuis que les services de streaming existent. Si rien ne remplace l’expérience collective de découvrir un film en salle, la réalité est qu’Uncle Frank sera probablement vu par bien plus de personnes dans le monde que s’il était sorti au cinéma. J’aime tellement entendre les réactions d’une salle, les rires du public ou l’émotion qui plane, le streaming est devenu une réalité incontournable.

Je crois qu’il y aura toujours des films au cinéma, même si ce sera de plus en plus du « spectacle », et qu’il faudra se tourner vers le streaming pour voir des films qui parlent de la vraie vie, plus intimes et recentrés sur l’expérience humaine. Pour moi, le développement des plateformes représente peut-être une chance pour certains auteurs de faire des films, de faire entendre leur voix et d’exprimer leur vision. Plus on raconte des histoires, plus on fait de films et de séries, plus les histoires fortes toucheront le public.

À Deauville, nous avons eu la chance de découvrir le film dans une salle de cinéma, avec un près d’un millier de spectateurs qui n’a pas manqué de réagir à votre film. (Deux heures plus tard, le film recevait le Prix du Public – ndlr). On aurait souhaité qu’il touche les français au-delà du millier de privilégiés qui l’aura vu en salle… 

Oui, ce fut pareil à Sundance où sur les différentes séances il y a eu environ 12.000 spectateurs. Ce fut un véritable bonheur de ressentir les réactions du public qui riait, pleurait. J’ai senti qu’il touchait les spectateurs. C’est une sensation euphorisante. Ce n’est pas la même expérience de découvrir un film chez soi, seul ou en petit comité. Mais cela dit quelque chose de comment le monde fonctionne de nos jours.


Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir

Bande-annonce

25 novembre 2020 (Prime Vidéo) – Réalisé par Alan Ball, avec Paul Bettany




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