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À MON ÂGE, JE ME CACHE ENCORE POUR FUMER

Au cœur du hammam loin du regard accusateur des hommes, mères, amantes, vierges ou exaltées islamistes, des fesses et des foulards de Dieu se confrontent, s’interpellent entre fous rires, pleurs et colères, bible et coran… avant le sifflement d’un poignard et le silence de Dieu.

Alger, côté femmes

Sept ans après le succès sur les planches, la comédienne franco-algérienne Rayhana adapte pour l’écran sa pièce éponyme. Dans l’Alger de la décennie noire, rythmée par les attentats et la montée de l’islamisme, des femmes de toutes origines se retrouvent le temps d’une journée dans un hammam. Cet univers clos, strictement féminin, offre une reproduction miniature de la société algérienne de l’époque et des tensions qui l’animent. Loin d’être un havre de paix et un refuge, le hammam est aussi ce lieu où la misogynie intériorisée fait dire à l’une d’elles, pourtant fumeuse : « Seules les putes fument ».

Ce cadre n’est pas sans rappeler Caramel, qui présentait lui aussi un autre univers féminin fermé sur lui-même, situé lui dans un institut de beauté de Beyrouth. Mais là où le film de Nadine Labaki montrait un environnement feutré, rempli de non-dits, À mon âge, je me cache encore pour fumer se démarque par la parole crue de ses personnages, qui profitent de cet espace libéré des femmes pour exprimer sans fard leurs frustrations, leurs envies, leur crainte et aussi parfois leurs espoirs.

Comme pour mieux rappeler la triste réalité à laquelle sont confrontées des millions d’Algériennes, le film s’ouvre une séquence lumineuse et quasi-onirique des toits d’Alger. Puis il enchaîne aussitôt avec une scène de viol conjugal, filmé en silence, en surplomb, depuis un toit. Loin de l’image  esthétisée de Caramel, Rayhana impose sa réalisation qui alterne tendresse et âpreté. Dans le hammam, sa caméra n’hésite pas à montrer les seins qui tombent, les corps nus et fatigués ou encore cette cicatrice, « cadeau » des islamistes qui ne supportaient pas la liberté d’une étudiante sans voile et n’ont pas hésité à l’asperger d’acide.

Pour cette adaptation, la réalisatrice a conservé la durée d’une pièce. Les femmes présentées ici sont toutes à des degrés divers des stéréotypes, la divorcée électron libre, l’ingénue qui attend le prince charmant sous les traits d’un bel « émigré » venu de France ou encore l’épouse d’islamiste qui s’accroche désespérément à ses principes. Une scène très drôle emprunte même aux codes du grand guignol et du boulevard, lorsqu’une bourgeoise de la diaspora vient chercher une épouse pour son fils et se met à faire son marché, et que toutes les autres se mettent à lui vanter avec force exagérations les mérites de Samia, la masseuse.

Abondamment discutée par les femmes entre elles, la situation politique du pays ne s’invite symboliquement dans cet environnement féminin que par l’irruption soudaine des hommes et le drame qui s’ensuit. Comme pour fournir une respiration à la dureté qui l’a irrigué pendant une heure et demi, le film s’achève sur une touche d’espoir, à la limite du fantastique, où des centaines de voiles noires, comme une armée de fantômes, s’élèvent dans le ciel d’Alger, promesse d’une émancipation future.




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